quote: | Lorraine : Metz et Nancy ne sont plus rivales, mais elles ne sont pas d'accord
Les élus des deux agglomérations partagent un même diagnostic sur le faible rayonnement de leur région, à côté du riche Luxembourg. Mais ils divergent sur la stratégie à adopter pour y remédier. Entre Sillon lorrain et Quattropole soufflent encore des vents contraires.
Metz de nos correspondants
L'étude avait produit l'effet d'une douche glacée. En mars 2003, la Datar avait publié un rapport sur le rayonnement européen de 180 grandes agglomérations de l'Union européenne. Nancy n'y apparaissait qu'en 71e position, tandis que Metz, préfecture de région, y figurait à la 118e place. Le constat était rude pour la Lorraine, qui se targue souvent d'être la seule région française à compter trois frontières (avec la Belgique, le Luxembourg et l'Allemagne). Mais il fallut se rendre à l'évidence : ni Metz (127 000 habitants hors agglomération) ni Nancy (103 000 habitants) n'ont la taille critique pour prétendre jouer dans la cour des grandes.
Si le constat est aujourd'hui admis, l'analyse des maires des deux villes diverge sur les moyens d'y répondre. Au risque d'exposer à nouveau la région aux vents contraires. Apaisé, le vieil et traditionnel antagonisme entre Metz et Nancy, qui pesa longtemps sur le développement et le rayonnement de la Lorraine, a laissé place à deux stratégies opposées.
André Rossinot, maire (UMP) de Nancy, défend avec ardeur le "Sillon lorrain", un réseau de villes, créé il y a cinq ans, qui rassemble, sur un axe aux allures de colonne vertébrale économique, Thionville, Metz, Nancy et Epinal. Soit une conurbation regroupant 800 000 habitants, sur un total de 2,3 millions de Lorrains. M. Rossinot est convaincu qu'après l'ère de l'intercommunalité viendra celle de l'interurbain. "C'est une évolution culturelle. Si la Lorraine ne travaille pas unie dans cette direction, la concurrence ne se jouera plus, demain, entre Metz et Nancy, mais entre Paris et Strasbourg", prévient-il.
"CE QUI NOUS DIFFÉRENCIE"
Mais le Sillon lorrain, structure sans statut juridique propre, est pourtant loin de faire l'unanimité. Un "machin", un "joujou", commente, pour sa part, Jean-Marie Rausch (div. d.), qui en assura la présidence durant un an, avant de renoncer. La grande affaire de M. Rausch, élu de Metz depuis trente ans - il dirigea également le conseil régional de 1986 à 1992 -, c'est plutôt le "Quattropole", un réseau de villes concurrent, créé en 2000 avec Sarrebruck, Trêves et Luxembourg-Ville. "Pendant que le Sillon lorrain quémande quelques deniers au gouvernement, nous négocions de gros projets avec Bruxelles. Nous n'avons pas affaire à un préfet, nous traitons directement avec les ministres, affirme le maire de Metz. Ville franco-française, Nancy a peur de la concurrence, notamment celle du Luxembourg, de sa place financière, de sa future université, de son projet de zone tertiaire à Belval. André Rossinot y voit un danger. Moi, j'encourage toutes ces initiatives, considérant qu'elles doivent participer à une dynamique transfrontalière. Il est un homme de concurrence, je suis un homme de compétition. C'est ce qui nous différencie."
Le maire de Nancy se méfie effectivement de la toute-puissance du Grand-Duché. "Ils sont plus riches, ils n'ont pas besoin de nous, c'est la septième place financière mondiale. Le risque est grand de voir s'instaurer une sorte de vassalité vis-à-vis du Luxembourg. J'ai déjà mis Jean-Marie Rausch en garde", rapporte M. Rossinot.
Après des années de "guéguerre", et malgré les divergences de vue, certains dossiers font, néanmoins, l'objet d'un consensus, parfois même d'une franche coopération, entre les deux sœurs ennemies de l'Est. S'agissant des infrastructures notamment, la compétition n'est ainsi plus de mise, qu'il s'agisse du TGV - dont l'arrivée est prévue en 2007 - ou du doublement de l'A31 (A32), encore dans les limbes. Contre toute attente, les universités ont aussi engagé un rapprochement spectaculaire. "Cela prouve que les décideurs sont en avance sur nous",commente M. Rossinot.
Mais, sur les questions de santé, les choses sont déjà plus difficiles : à Nancy, le CHU, performant, est bien décidé à conforter sa suprématie, tandis qu'à Metz le CHR, en pleine restructuration, est dans l'attente d'un déménagement programmé pour 2007 au château militaire de Mercy, aux portes de la ville. "C'est chacun pour soi et Dieu pour tous !", résume M. Rausch.
Il y a également peu d'initiatives communes en matière culturelle. Les deux villes seraient là aussi plutôt en froid depuis l'annonce de la création, à Metz, du premier site décentralisé du Centre Georges-Pompidou, avec le soutien appuyé de Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture, colistier du président sortant du conseil régional, Gérard Longuet (UMP), et candidat putatif à la succession de M. Rausch à la mairie de Metz. C'est un projet de 45 millions d'euros qui est entièrement dédié à l'art contemporain et dont l'ouverture est prévue dans trois ans, dans le futur quartier de l'Amphithéâtre où doit s'arrêter le TGV Est. Sollicitée elle aussi, Nancy avait décliné la proposition, en raison, selon M. Rossinot, des risques financiers.
Pour le reste, si les petites phrases fusent toujours entre les deux responsables politiques, les véritables crocs-en-jambe se font plus rares. "Pour Metz, Nancy n'est plus un problème. S'il y a un problème messin, il est plutôt dans la tête de nos voisins", assure M. Rausch, avant de rapporter de cette façon l'un des derniers exemples en date de la traditionnelle rivalité lorraine : "Nous ne jalousons pas Nancy, nous ne nous battons pas contre ce qui peut lui arriver de bien. Tout récemment encore, il a été décidé d'installer dans son tribunal le futur pôle interrégional contre la grande criminalité. Parfait, nous sommes contents pour eux !"
Nicolas Bastuck et Stéphane Getto
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Les universités montrent l'exemple
Fait sans précédent, les présidents des quatre universités lorraines (Henri-Poincaré, Nancy-II, l'Institut national polytechnique de Lorraine et Metz) ont présenté récemment une offre de formation commune aux quatre établissements, dans le cadre de l'harmonisation européenne des diplômes (licence-master-doctorat, LMD) qui sera mise en place d'ici à la rentrée 2005.
"On en avait assez de la querelle Nancy-Metz. Si les politiques ne sont pas capables d'être raisonnables, nous le serons", s'est félicité Richard Lioger, président de l'université de Metz. "Seules les universités qui pourront revendiquer 40 000 étudiants compteront demain. Sans attendre, nous nous mettons en ordre de bataille", ajoute son collègue de Nancy-II, Herbert Néry.
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Serrez vous la main
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